L'Exil ou la survie par l'émigration

J’ai fait état, dans le chapitre IV - 3.1. ou celui XXV – 4.2.1. à venir, des mouvements de populations qui ont occupé les longues périodes pré ou protohistorique et antéchrismique, émigrations, immigrations, migrations en tout cas, périodes pendant les quelles les humains comme les animaux suivaient les déplacements de leur gibier, fuyaient ou participaient aux invasions, subissaient les changements climatiques, …

 

C’est de migrations plus récentes, contemporaines, qu’il sera fait état dans ce chapitre, mais migrations du même type puisque provoquées par des chaos économiques ou politiques et se traduisant par la nécessité d’aller chercher ailleurs la subsistance du quotidien, l’espoir du meilleur lendemain, …, chacun subissant et faisant souvent subir à l’autre acculturation et viol des structures sociales.

 

Ainsi la 1ère émigration forcée avait été celle des juifs de Biscaye décidée en 1485 par l’Assemblée locale et qui provoquera aussi la fuite de Basques ayant adopté la religion juive.

 

L’envahissement et l’annexion de la Haute Navarre par la royauté castillane en 1512 décidera de la fuite vers le Béarn de nombreux navarrais. On en retrouvera plus tard au Canada après d’autres péripéties, puis en Californie au milieu du 19ème siécle.

 

En 1492 l’Amérique a été découverte qui sera au cours des siècles suivants la principale destination des Basques en recherche d’avenir.

Dès les débuts, de nombreux marins et conquistadors basque ayant participés aux toutes premières expéditions, on connaît ici l’intérêt et les perspectives que présentent ces nouveaux territoires, et des basques de toutes conditions s’établissent « Ameriketan », aux Amériques comme l’on dit toujours ici.

 

Ainsi de la première carte des Amériques, exposée aujourd’hui à Madrid, dessinée en 1500 par Juan de Lacotza, navigateur basque de Christophe Colomb, tandis que de nombreuses centres de population destinés à devenir les plus grandes villes d’Amérique du Sud sont créés au cours du 16ème siècle : Buenos Aires, Asuncion, Santiago del Estero, Santiago, San Luis, Santa Fe, Montevideo, … par Aguirre,  Arganaratz, Loyola, Zabala, Ibarra… , certains aussi au Mexique ou aux Philippines ou Legazpi crée Manille

Dans le même temps Elkano réalise le 1er Tour du Monde entrepris avec Magelan.

 

Les Basques du Nord qui participent à ces expéditions se font passer pour Navarrais, ce qu’ils sont d’ailleurs parfois, natifs de Baigorri ou d’Ezterenzubi.

 

Le Chili et l’Argentine sont les principales destinations des voyages de ces époque qui débordent aussi sur le Vénézuela, le Pérou et autres pays voisins.

 

Tous ces pays, alors sous tutelle de l’Espagne, deviendront indépendants au début du 19ème siècle.

Les territoires sont immenses, les populations indigènes très clairsemées, d’autant plus clairsemées qu’on n’hésite pas à les exterminer en faisant participer l’armée à des opérations punitives systématiques contre les groupes qui se défendent.

 

L’émigration européenne s’organise que l’on peut qualifier d’institutionnelle pour le Pays Basque car plusieurs des nouveaux Présidents de ces nouveaux Pays sont d’origine Basque.

Ainsi Oribe, Président de l’Uruguay, qui demande à une agence londonienne, d’organiser l’émigration « des Basques des deux côtés de la frontière »

 

L’émigration vers l’ouest sera massive :

- les 150 000 habitants des 3 provinces basques du Nord « produiront » 100 000 émigrés de 1830 à 1914, dont 79262, décomptés d’après les passeports, entre 1832 et 1891.

- 250 000 émigrés quitteront les provinces Sud de 1776 à 1950, descendants de leurs 600 000 habitants,

                sans compter l’émigration clandestine au moment des diverses guerres, + 50% pour des sources sures.

Trois mois de voilier entassés à raison de 1 par m2 , 22 jours de vapeur plus tard, pour l’équivalent de 600 euro en 1911.

Six cents euro pour des gens qui n’avaient aucun moyen de gagner de l’argent.

 

C’est dans cette période du 19ème siècle que des Lahetjuzan de Sare vont quitter leur terre natale vers l’Argentine et le Chili, de même d’ailleurs que mes grands oncles maternels Oyhanto et Andiazabal d’Ascain, et tous pour ne pas en revenir.

 

Le seul qui ait fait plusieurs fois le trajet et soit revenu s’installer au Pays est mon grand-père Gaxaurra Oyhanto.

Voyages très dangereux en bateau, tout comme en avion d’ailleurs. Ainsi l’accident qui emporta Marcel Cerdan et Ginette Neveu fit aussi disparaître Jean Louis Arambel, Jean Aduritz, Jean Suquilbide, Pierre Etchepare qui revenaient d’un long séjour aux USA

 

Quelles sont les raisons de ces exils toujours déchirants ?

 

D’abord la démographie.

Le Pays Basque océanique, plus encore que les autres pays européens, a été un pays de misère et de famine tout au long des siècles. Plus car notre climat tempéré mais trop humide ne convenait à aucune céréale et l’on ne pouvait donc rien stocker en réserve pour l’hiver.

Seuls les glands et les châtaignes produisaient la mouture qui permettait de confectionner les « talo », aliment de base jusque vers 1500.

 

Le bouleversement viendra de l’introduction du maïs, céréale miracle des Andes apportée justement par les Basques ayant participé à la conquête des Amériques, céréale miracle qui trouvera en Pays Basque un sol et un climat qui lui créeront des conditions de culture tellement idéales qu’apparaîtra même par la suite une nouvelle variété, le « Grand roux basque ».

Grand parce que sa tige extrêmement solide lui permettait (mais pas toujours) de supporter la violence de nos vents du sud tout au long des ces 2m50 ou plus de hauteur.

Roux parce que ses épis, aussi de grande taille, étaient plus roux que dorés comme sont les autres variétés.

 

Voilà donc une céréale qui ne demande qu’à produire et qui est relativement facile à cultiver, qui permet de nourrir indifféremment porc, poules, veaux ou grand bétail au besoin ou en complément, et aussi de nourrir les humains en bouillies ou en « talo », voire en « pastiza » gâteau basque !.

Une céréale que l’on peut mettre en réserve d’une année sur l’autre, qui est propre à une sélection facile car son gros grain et sa plante rustique et belle sont bien représentatives.

 

Au cours des deux siècles suivant se produit une mutation de la société agro-pastorale accompagnée d’un développement à la fois forcé et extrêmement bénéfique à l’individu comme au groupe.

 

Forcé car tout part du stockage : plus de grain à stocker dans plus d’espace pour plus de bétail à nourrir pour plus d’humains à alimenter pour plus de travail à exécuter … par une population habituée jusque là à travailler très dur pour vivre très chichement.

Besoin de plus d’espace de greniers, de plus d’espace d’étable et de plus de logements = les superbes maisons dites basques, labourdines ou navarraises qui se sont construites à cette époque et que l’on croit aujourd’hui être de tout temps dans notre paysage alors qu’antérieurement et à part les maisons médiévales comme Lehetea, Olha, Ibarla et quelques autres, tout n’était que chaumières de bois, de torchis et de paille que les guerres venaient régulièrement ravager, y compris bien sur les premières, construites en dur.

 

Mais l’espace cultivé ne pouvant être multiplié à l’infini pour suivre l’expansion démographique, on arrive rapidement à une limite.

Au bout d’un peu plus de deux siècles, trop d’humains et dans nombre de ces superbes maisons dont certaines immenses, la pauvreté s’installe à nouveau à défaut de la misère.

Car le pays lui-même est petit et ce paysage de cocagne, vert, doux et tellement agréable ne suffit plus à faire vivre ses habitants.

Si quelques domaines font quelques dizaines d’hectares, beaucoup n’en font qu’une douzaine y compris les bois et parcours de pacage ; et parfois moins encore en Gipuzkoa et Bizkaia où par endroit la montagne « tombe dans l’océan »

En Labourd où sont Sare et Stpée, à Stpée plus particulièrement où j’habite, dans la maison F…, où ils sont toujours en 2007, les D… vivait sur 5 hectares divisés en une dizaine de parcelles. Ils étaient 7, parents et enfants, en 1950 et si l’un d’entre eux est resté à la ferme aucun de ses propres enfants n’y est plus.

Mais les familles de 12 ou 14 enfants n’étaient pas rares et, à la même époque, les I… qui étaient dans ce cas, sans posséder aucune terre, vivaient chichement mais dignement du travail du père qui louait ses bras et cultivait un grand jardin, avec poules lapins et cochons.

En 1950 l’émigration se poursuivait encore vers le Canada et les Etats Unis.

 

Les lois révolutionnaires  de 1789 avaient supprimé le droit d’aînesse, déséquilibrant la société rurale, provoquant le démembrement des petites propriétés lors des successions et rendant la « rentabilité » du domaine familial impossible.

Plus personne ne s’y retrouve, ni les propriétaires, ni les autres membres de la famille que ceux-ci ne peuvent plus doter. Il est vrai que le droit d’aînesse entraînait aussi ses injustices chez les cadets. Mais maintenant c’est la famille entière qui est souvent dispersée.

 

La révolution industrielle a partout ruiné l’artisanat local et les mille métiers qui occupaient tant de bras n’ont plus d’activité.

Les frontières douanières ont aussi été déplacées et la contrebande traditionnelle en souffre qui apportait un peu d’argent ; les terres de transhumance sont de plus en plus défrichées par les cadets qui les ont reçu en partage et les moutons n’ont plus d’espace à paccager, …

 

Il ne reste plus qu’à s’exiler et beaucoup choisiront donc d’aller vers ces Amériques d’où, deux siècles plus tôt, est venue la plante miracle !

 

Cette fois l’exil se fera aussi vers l’Amérique du Nord, Nevada, Californie, où comme dans les grandes plaines du Sud les Basques seront bergers et agriculteurs, ce qu’ils étaient déjà chez eux. Activités dans lesquelles ils vont être extrêmement appréciés par les Basques déjà établis, par d’autres Basques venus avec eux mais qui ont réussi à créer des exploitations et par les grands propriétaires terriens en général car en plus d’un savoir-faire déjà acquis, ils apportent une ténacité au travail et une adaptabilité à la solitude extrême des immenses espaces dédiés au bétail.

Traits de caractères que n’ont semble-t-il pas les indigènes … ceux qui restent !     

Traits de caractères qui chez les Basques font peut-être partie d’un atavisme attaché à la race.

 

Mais l’exil se sera fait aussi vers l’Australie, vers les Philippines.

 

Des Philippines viendra plus tard un nouveau jeu de Pelote Basque, la cesta punta, joué dans un nouvel espace clos s’ajoutant aux trinquets et appelé Jai Alai, juste retour des choses pour un sport que les émigrants Basques auront fait connaître mondialement : c’est ainsi à Miami que se trouvent les Jai Alai les plus connus, hors ceux du Pays Basque même, où se jouent les parties de cesta, quinielas, qui donnent lieu à toute sorte de paris.   

 

Une multitude d’Euskal Etxe, les Maisons des Basques se sont créées de par le monde, principalement en  Argentine et aux USA, même si les liens avec la terre d’origine se distendent avec l’écoulement du temps.

 

Une loi votée en 1994 au sein de la Communauté Autonome Basque d’Euskadi à d’ailleurs organisé institutionnellement les liens de la terre ancestrale avec ces divers Euskal Etxeak de la diaspora.

 

Il y aurait actuellement 15 000 000 de personnes portant un nom basque dans le monde, 4 500 000 d’ascendance basque contemporaine dont encore 57 000 Basques « authentiques » ou « natifs » aux USA.

 

Et l’exil se sera fait aussi au sein même de la France avec de fortes implantations à Bordeaux ou Paris, voire des installations comme à La Rochelle où un Lahetjuzan s’est arrêté, sans doute sur la route des Amériques, tandis que ses frères et cousins poursuivaient vers l’Argentine. Les bateaux partaient de Baiona ou Pasaia …, aussi de Bordeaux ou La Rochelle …

Cet exil pouvait être simplement saisonnier beaucoup de jeunes femmes allaient par exemple dans les multiples hôtels de Lourdes pour la saison des pèlerinages, les hommes allaient eux dans les plaines du nord de la France à la saison de la betterave sucrière